Interview de Greg

Juin 2014


NGCDW : Tu as été journaliste dans les années 90, peux-tu évoquer tes débuts dans la presse du jeu vidéo française ?

Greg : J'ai fait une interview pour le journal de mon lycée d'un journaliste de jeu vidéo, le courant est bien passé, j'avais une bonne connaissance du monde des consoles notamment japonaises (à l'époque j'avais une PC engine), et j'ai été recruté en Juin 1991 pour faire les soluces et faire les photos des jeux testés. Il faut voir qu'à l'époque faire des captures d'écran de jeu était assez compliqué, on jouait au jeu dans une pièce noire. On prenait alors des photos de la télévision avec un appareil (argentique évidemment). On était assez fier du rendu, notamment grâce à la qualité de l'écran. Je me souviens que les captures sur la console Neo Geo AES n'étaient pas évidentes parce que les premiers jeux n'avaient pas de continu infini comme King of Monster, ou étaient extrêmement difficiles comme Viewpoint.
Au total j'ai été journaliste de 1991 à 2003 chez Joystick, Joypad, Mega Force, Super Power. Mon 1er test est dans le Joypad N°2.

 


NGCDW : Quel souvenir gardes-tu de la neo geo ?

Greg : La Neo Geo c'était la recrée de la rédaction. Tout le monde venait y jouer pendant ses pauses ou son temps libre. Elle était clairement exceptionnelle. Je n'en ai pas acheté à l'époque car elle était trop chère pour moi. En même temps je n'en ressentais pas le besoin car j'y avais accès facilement à la rédaction et je l'empruntais certains week-ends.

Par contre, quand je suis parti, j'en ai acheté une au Japon pour pas cher avec quelques jeux. Juste pour avoir le plaisir de jouer à des classiques avec le « clic-clic » caractéristique du joystick.


NGCDW : Qui vous fournissait les jeux, quel rapport aviez-vous avec l'importateur officiel Guillemot ?

Greg : A ma connaissance nous n'avions aucun contact avec Guillemot. Peut-être la direction mais pas les journalistes. A ma connaissance les jeux étaient tous achetés aux boutiques d'importation.
JM Destroy avait des parts dans la boutique Shoot Again, donc on avait des remises. Quand JM Destroy a vendu ses parts, on cherchait à avoir le jeu au plus vite. Donc on prenait à celui qui pouvait nous le fournir le plus rapidement.

A cette époque ces sociétés comme Ultima, Shoot Again, Stock Game faisaient leur propre importation de jeux qu'ils vendaient dans leurs boutiques, mais ils revendaient aussi aux boutiques de province.
Shoot Again par exemple importait même des jeux improbables comme les Quizz Neo Geo parce qu'il y avait toujours quelques acheteurs, chose que ne faisaient pas les gros importateurs officiels. Surtout qu'ils avaient leurs propres réseaux de distribution.
J'ai même vu des toutes petites bornes Neo Geo que Shoot Again faisait venir à la demande. Je passais souvent chez eux parce qu'ils étaient sympas et qu'ils étaient les plus proches de chez moi.

 


NGCDW : Comment se faisaient les news, d'où venaient les informations des éditeurs
japonais ?


Greg : Les éditeurs japonais ne communiquaient aucune information à la presse occidentale. Donc on se débrouillait par nous-mêmes. En fait, au tout début on traduisait les Famitsu comme on pouvait. C'est à dire  avec un dictionnaire de katakana. Heureusement, beaucoup de titres comme sur Neo Geo avaient des titres en anglais. Pour les cas où les titres différaient comme Art Of Fighting par exemple on s'aidait des listes des grossistes de Hong Kong qui fournissaient la liste des jeux en japonais et en anglais.

Mais on n'était pas à l'abri de problèmes, par exemple je me souviens que « Ghouls'n Ghost» dont le nom japonais se traduit par le « Grand village démoniaque », et que les importateurs avaient traduit par le « terrible village ». Donc, on se demandait ce qu'était ce nouveau jeu....
C'est un des éléments qui ont fait que je me suis mis au japonais. Il faut quand même se rappeler que Sega France c'était en gros 2 personnes. Nintendo était distribué par Bandai etc.

Vers les années 1994, on avait un correspondant au Japon, quelqu'un qui travaillait là-bas et qui nous envoyait des informations. Par contre, les éditeurs japonais refusaient toujours de communiquer. En fait, ils nous renvoyaient vers les sociétés européennes qui n'étaient bien sûr jamais au courant des nouveautés.
Du coup notre représentant, Christophe Kagotani, devait avoir des contacts dans la presse japonaise, et chez certains éditeurs. En fait, même pour les salons, on envoyait rarement des journalistes de France, on passait souvent par les résidents. Moi, mon premier Tokyo Game Show j'y suis allé en 1997.

Il a fallu attendre les années 2000 pour que les éditeurs japonais s'intéressent à l'Europe, et nous envoient directement des communiqués de presse... en japonais.

 


NGCDW : Comment as-tu perçu les années 94/95, entre la venue des nouvelles consoles 3D, et la Neo Geo CD.... ?

Greg : La Playstation, arrive avec toute la puissance de communication de la firme Sony music qui est colossale. Les publicités sont partout à la télévision, à la radio. On offre des Playstations dans des émissions grand public comme Arthur. A cette date, un mec cool a une voiture golf GTI,  un polo Lacoste, et une console Playstation... Les jeux vidéo sortent de leur sphère confidentielle. Donc on a eu très clairement une fracture entre deux univers de joueurs, les « anciens » et les «modernes »....

A cette date, la Neo Geo est toujours la console de référence de la 2D :  SNK a un vrai talent dans la  programmation et les graphismes, en plus les jeux sont très techniques. D'où le rejet des joueurs  «anciens » de ces nouveaux jeux comme Toshiden, ou Tekken qui sont en fait assez pauvres techniquement, mais dont la 3D fascinait à l'époque. Il a fallu attendre la Dreamcast pour qu'on puisse avoir le même rendu 2D.

La Neo Geo CD avait suscité à la rédaction un grand espoir :
D'abord un prix super attractif pour des jeux qualité neo geo.
Ensuite, la musique des jeux directement accessible via la console. Il faut bien se rappeler qu'il n'y avait quasiment jamais de sound test sur les autres consoles de cette époque.
Mais les temps de chargement étaient terribles, les jeux de bastons n'étaient pas du tout adaptés. Je me souviens du King Of Fighters (ndr: KOF 95 ) notamment avec les loadings entre le changement de personnage dans un même stage : tu gagnes le round, temps de chargement, mais si ton personnage a une faible barre de vie, tu perds en quelques secondes et là re-temps de chargement....
Autre problème, les manettes, pas très adaptées pour les jeux de combat, or à ce moment il y avait très peu d'importation de manette classique supplémentaire (ndr : les manettes carrées)
Par contre, la console était tout à fait adaptée pour les shoots, ou les jeux d'action. Il y avait un temps de chargement de niveau à niveau ce qui était acceptable parce que tu bois un coup ou fumes ta cigarette.

Par contre les nouvelles consoles de type Playsation/Saturn ont monopolisé certains genres comme les jeux de course et de plate-forme, où la 3D apportait un bon rendu. SNK s'est retrouvé enfermé dans les jeux de combat.
La Neo Geo s'est concentrée sur les jeux de combat et de shoot 2D. Avec une actualité de moins en moins importante. Du même coup les séries se sont usées à sortir tous les ans avec des innovations minimes (comme les Fatal Fury Spécial, Real bout, RBS etc.), pour des jeux qui coûtaient toujours plus de 1000 francs.

Ils ont bien tenté de sortir un RPG, avec un Samurai Spirit japonais, sûrement alléché par les ventes de Dragon Quest et Final Fantasy qui pouvaient faire 1M ou 2M de vente en Day One. Mais là non plus ils n'avaient pas les compétences pour.

 


NGCDW : Et la suite de la production de SNK, fin 90 début 2000 ?

Greg: L'Hyper Neo Geo 64 elle aussi avait suscité des attentes. Les graphismes de Samurai Spirit 64 ont commencé à nous inquiéter mais on s'est dit pourquoi pas si le jeu est bon. Mais au final, on a même été déçu par le gameplay, du coup on en a pas trop parlé. On ne voulait pas achever un homme à terre...
Là aussi ils ne savaient pas faire tout simplement.

Autre grosse déception la Neo Geo Pocket, qui avait de gros problèmes de rémanence d'écran. Ce qui est dommage c'est que la Neo Geo Pocket Color est très bien mais elle est sortie trop tard, en pleine guerre des consoles portables (avec la GBA et la Wonderswan).
En plus là aussi SNK s'est centré sur les jeux de combat typé SD, or ce n'était pas un support de choix surtout si on veut garder un gameplay technique.

 


NGCDW : Concernant cette console, il y a eu un article Gamekult sur le prototype de Magicien Lord 2 sur NGPC, tu as des informations ?

Greg : Oui en fait il s'agit d'un de mes contacts au Japon qui nous a fait passer l'information. Il avait un ami qui bossait chez SNK et qui lui a prêté une cartouche test pour essayer le jeu et lui donner son avis. Sauf que SNK a déposé le bilan peu de temps après.
Je l'ai essayé. Tous les niveaux sont présents mais il manque des ennemis, et les bosses, il y a encore pas mal de bugs, donc il n'est pas vraiment jouable. Mais il tourne, il y a l'introduction, tous les niveaux, etc. C'est une sorte de Castelvania like qui parait vraiment très prometteur.

Apparemment SNK avait prévu de sortir des suites de certaines séries qui étaient plus moins abandonnées. Mais je n'ai pas plus d'information sur ses autres titres ni même leur stade d'avancement.

Par contre pour être tout à fait honnête, on a été assez déçu de la faible notoriété de cet article. Le forum ne s'est pas spécialement emballé, mais surtout ça n'a pas été repris par d'autres sites de référence comme IGN ou Kotaku. Alors que nous on jubilait d'avoir eu cette information.


NGCDW : Quelles sont tes impressions sur le phénomène du jeu « retro » ?

Greg : Je vois ça comme des étudiants en cinéma qui découvrent Citizen Kane. Ce plaisir de la découverte que les évidences d'aujourd'hui sont les innovations d'hier.

De même, à la sortie du stick Neo Geo pour la Wii, ça a eu un impact important à la rédaction de Gamekult, ça faisait très « retour du caviar »... en même temps je me souviens d'une Interview de l'équipe qui a converti Sonic, la version originale Megadrive sur 3DS, et qui précisait qu'ils ont placé un stage select, par peur que les gens arrêtent de jouer parce que le niveau 2 était trop dur... c'est assez symptomatique en fait.
Maintenant se perdre dans un jeu est vu comme négatif, il y a 20 ans, ça participait au jeu lui-même.

 

Remerciements
Greg pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Chahid sans qui rien n'aurait été possible.
Tarma et Arngrim du forum neogeofans pour la correction et la relecture.



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